La troupe de la Comédie Française, sous la houlette d’Elsa Granat, propose Une Mouette et non pas La Mouette, l’une des pièces les plus jouées d’Anton Tchekhov. Nous apprécions ce distinguo, il n’y a pas de tromperies, les intentions sont clairement exposées.
Elsa Granat propose comme toujours dans son travail une réflexion sur le patrimoine théâtral et le présent. Vision passionnante et déconcertante pour ceux qui connaissent la pièce, l’adhésion est enthousiaste pour ceux qui découvrent la Mouette, enfin cette Mouette.
Elsa Granat a composé un prélude qu’elle appelle « presquel », une « ouverture imaginaire », elle imagine le parcours d’Arkadina, l’enfance sans père de Tréplev, le fils d’Arkadina, qu’elle aime mais ne veut pas l’avoir à ses côtés preuve de son âge. Tréplev qui joue avec Macha, la fille de Chamraïev l’intendant. Sorine, le frère d’Arkadina sera toute sa famille. Toute cette société rêve d’une autre vie. L’arrivée d’Arkadina dans sa campagne anime les désirs de toute la maisonnée et ils sont assoiffés de nouvelles moscovites, ils veulent
s’étourdir des succès d’Arkadina qui est comédienne jusqu’au bout des doigts, elle est constamment en représentation. Elle est le théâtre.
Tréplev organise une représentation théâtrale, il veut « faire advenir des formes nouvelles ». Son interprète est Nina dont il est amoureux. Arkadina, insupportable, ne supporte pas de ne pas être le centre de l’attention plus d’un quart d’heure. Cette création moderne lui échappe, l’attention des autres est une offense, elle se moque et Tréplev arrête tout. L’amant de sa mère Trigorine, le seul personnage de la pièce parfaitement conscient de ce qu’il est, un auteur à succès mais médiocre, apprécie la pièce et la jeune Nina. Finalement les personnages de la Mouette sont tous en porte à faux de leur vie, Macha aime désespérément Tréplev, ici elle porte des écouteurs pour ne plus entendre sa consternante réalité, elle est en colère contre son destin. Sorine sait qu’il a raté sa vie et que l’avarisme de sa célèbre sœur le maintien dans une précarité sordide.
Le médecin est un ami, un confident, un témoin de cette langueur. Nina est fascinée par Trigorine, elle prend en main son destin, elle va à Moscou, sera comédienne, aimera son bel auteur et aura un enfant de lui. Il l’abandonnera bien sûr. Après les coulisses du prequel, les toiles peintes aux couleurs vives, la dernière partie dévoile le lac où les mouettes viennent se reposer.
Elles sont parfois tuées par des chasseurs imbéciles et désœuvrés. Arkadina est venue car son frère se meurt. Tout se noue tragiquement sans rémission, Nina ne peut s’empêcher d’aimer, de retour sur les lieux de ses débuts plein d’espoir, elle se tourmente. Tréplev n’a plus de raison de vivre et Arkadina hurlera comme une reine de théâtre. La dernière partie est d’une beauté
formelle qui nous prend aux tripes.
Quelle distribution. Cette année est l’année Marina Hands, exceptionnelle dans toutes ses compositions, du Soulier de Satin, inoubliable à Arkadina impérieuse, sublime. Julien Frison crée un
Tréplev, loin du personnage romantique et douloureux que l’on voit habituellement, il est plus cérébral, à fleurs de peau sans être caricatural. Une très belle composition. Adeline d’Hermy est Nina, elle passe de la toute jeune fille, innocente et rêveuse à la femme rompue parfaitement consciente de son malheur. Elle est bouleversante. Elle trouve ici son plus beau rôle. Inoubliable.
Une Mouette
D’après Anton Tchekhov
Adaptation et mise en scène Elsa Granat
Avec
Julie Sicard, Loïc Corbéry, Bakary Sangaré, Nicolas Lormeau,
Adeline d’Hermy, Julien Frison, Marina Hands, Birane Ba,
Dominique Parent
Comédie Française Richelieu en alternance jusqu’au 15 juillet
Réservations comedie-francaise.fr
Marie Laure Atinault